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Les premiers matins du monde

Ethiopie Vallée de l’Omo - août 2003

Patricia Ondina

J’ai pris dans ma vie des milliers de photos. Pourquoi faut-il toujours que ce soient celles que je n’ai pas prises qui me hantent encore aujourd’hui ?

Le jour se levait à peine sur la vallée de l’Omo, lieu chargé de l’histoire de nos origines, patrie de Lucie, et berceau dit-on de l’humanité. Il est vrai que les survivances de cultures tribales étaient omniprésentes dans la région, et nous avions décidé d’établir notre campement près d’un village Hammer pour mieux profiter de cette immersion. Les Hammers sont des pasteurs aux moeurs ancestrales. Nous en avions rencontré beaucoup les jours précédents, magnifiquement parés de peintures corporelles, leurs habits décorés de cauris,  arborant d’ incroyables coiffures.

Pourtant,  en ce petit matin pluvieux, alors que nous quittions notre tente, presque à regret pour pénétrer dans la grisaille de l’aube, il y eut cette femme Hammer, telle une apparition, portant son enfant sur son ventre. Pieds nus, vêtue de peau de bête, les cheveux tressés, luisants d’ocre.  Elle était là devant nous, dans la bruine du petit matin, mais surtout, elle tenait à la main une bûche qui se consumait lentement..

Ainsi, emportait elle avec elle le feu qui l’accompagnerait dans sa journée loin de sa hutte et de son village, comme l’avaient fait avant elle ses ancêtres, des milliers d’années auparavant. Le feu si précieux, qui ne devait pas s’éteindre. Rien n’avait changé pour elle dans ce matin pluvieux, ni le froid, contre lequel elle n’avait pas réussi à se protéger - n’avait on pas surpris le Hammer qui gardait notre campement à grelotter dans ses habits traditionnels - On ne pouvait lui donner d’âge. Elle semblait avoir tout vécu, tout traversé.

Je me pris alors à penser que ce feu ne s’était peut-être jamais éteint depuis des millénaires, précieusement transmis et entretenu depuis la nuit des temps. J’eus conscience du caractère unique de ce moment et n’osai briser la magie de l’instant. Je ne sortis pas mon appareil photo. Elle me dévisagea longuement puis continua sa route. Je la regardai s’éloigner et me demandai longtemps laquelle de nous deux avait franchi le mur du temps

Si j’ai souvent regretté ne n’avoir pas pu prendre cette incroyable photo, l’image de cette femme venue du fond des ages reste gravée à jamais dans ma mémoire, plus sûrement, je le sais, que sur la pellicule où j’ai pourtant fixé tant de souvenirs.

 

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